Texte de Paul Ripoche

La tentation est grande pour qui s'intéresse aux artistes d'interpréter, les images qu'ils nous donnent à voir. Pourquoi cette image ? Comment ? Que dit-elle ?
En parcourant l'œuvre de Didier Hamey, peuplé d'êtres hybrides et joyeux entretenant dans une parfaite harmonie des relations pour le moins équivoques, vient assez rapidement à l'esprit le triptyque du Jardin des Délices de Jérôme Bosch (1453-1516). Cette œuvre magistrale continue de faire débat et l'on cherche encore à décrypter le détail des intentions du peintre qui représente un monde imaginaire fourmillant de personnages dont les attitudes insolites n'ont rien de commun avec une vie terrestre ordinaire. Folie, rêverie, symboles, paraboles, cocasseries, le panneau concentre ces composantes qui laissent si peu de place à la rationalité au profit de la liberté d'imagination. Il est vrai que l'expression de la liberté prise à bras le corps et sans complexe de jugements, donne lieu à la plus grande incompréhension pour un public en recherche permanente de repères. L'œuvre de Didier Hamey est à rapprocher de cette famille d'images fantaisistes qui, loin d'être gratuites, sont assez éloignées du monde non moins fantaisiste de l'illustration. Elles n'illustrent pas un monde, elles forment un monde et véhiculent des sens cachés à fortes charges symboliques. L'une d'elles s'intitule Le jardin des délicieux. Il y a là une façon de revendiquer un lignage sans se prendre au sérieux qui est la marque d'un artiste qui manie l'humour avec une subtilité consommée. Cependant, a aucun moment cette revendication n'a été si clairement exprimée, et nous verrons à quel point Hamey est un artiste taquin qui construit une œuvre en forme d'hymne dont l'Amour est le cœur, et la joie, l'amitié, la fécondité et l'érotisme, les épicentres d'un même univers.

L'Empapillonneur ? Deux estampes portent ce titre. L'une d'elle représente un personnage étrange, sorte de hibou-koala dont il manque la partie supérieure du crâne. L'animal se présente frontalement. Une nuée de personnages indistinctement définissables, embryons, larves, têtards ou graines se dispersent dans les airs, encore pris dans les volutes rouges et roses qui les contenaient l'instant d'avant. L'autre estampe fonctionne sur le même mode. Un être imaginaire muni d'une queue à plumage circulaire progresse dans un espace aérien libérant derrière lui un nuage touffu de petites bestioles. L'empapillonneur est une figure d'un autre néologisme, l'ensemenceur, personnage céleste, allégorie de la fécondité qui diffuse la vie sur le monde. Mais Didier Hamey nous ouvrant l'imagination comme d'autres nous ouvriraient l'appétit, l'empapillonneur est celui qui entortille, qui emmêle, qui emmène son spectateur sur des pistes qui l'égare, en somme, un esprit taquin, un joueur. Car l'œuvre de cet empapillonneur est plus profonde qu'elle ne le prétend. Bien plus qu'un cabinet de curiosité qui rassemble en son sein des merveilles exotiques, elles sont un tout qui, juxtaposées, reconstituent un monde disparu. Le Jardin des délices de Bosch n'est pas autre chose. Chaque scène est indépendante. Mises ensemble elles s'unifient pour constituer un monde. En musique nous dirions qu'elles chantent à l'unisson. Le monde végétal et animal est omniprésent dans le travail de Didier.Hamey. Il met en scène des lieux nommés Jardin de l'Aïd, Jnoum des Jardins, L'arbre des amis. Ces bestioles d'une incroyable diversité vivent en parfaite harmonie, elles s'égaient dans les Bals des portons minets et vont Bras dessus bras dessous dans des Farandoles de fariboles. Ces joyeux amis partageant une Joyeuse lampée, se rapprochent parfois et finissent après un Baiser volé par succomber aux tentations du 7ème ciel dans Le nid de tous les plaisirs. S'ensuit une déclinaison du registre de la fécondité et du surgissement de la vie dans lequel s'inscrivent des séries sur les Coconnières, les Pommes d'Amour ou Le fleuri. C'est une joie fraîche et sincère qui agite ce petit monde. Didier Hamey le décrit empli de sourires francs, évacuant les accents énigmatiques, malicieux ou spirituels des sourires que l'histoire de l'art de Bouddha à nous jours en passant par la Joconde déploie sur les cimaises des musées. Tant de chaleur, d'amitié, de joie et de profusion de vie a à voir avec L'Eden biblique d'avant la chute de l'homme. Les êtres vivent de leur propre bonheur, dans une gratuité d'intention, sans doute métaphysique, loin des angoisses auxquelles l'homme est en proie. Il est un fait qu'au-delà de la description de ce monde idyllique que nous savons ne pas ou ne plus exister, c'est la nostalgie même de ce monde que Didier Hamey dessine en creux. Pour autant, interrompant là l'analogie avec le Jardin des délices de Bosch, Didier Hamey ne décrit pas l'Enfer et s'en tient à son propre jardin, traduction symbolique du Paradis perdu.

C'est en gravure et non en dessin qu'il a décidé de tracer son œuvre. En dépit de son goût pour la couleur, les tentatives qu'il fit dans le champ de la peinture ne le satisfirent jamais tout à fait. Toujours en recherche de l'image réussie, il buta sur ce Mystère : à quel moment s'arrêter ? Quel est le dernier geste ? Après avoir commencé à graver dans des plaques de bois contre-plaqués de récupération ?, il trouva son outil idéal avec la pointe sèche, et son support de prédilection avec le plexiglass. Cela s'explique-t-il vraiment ? Les graveurs sont des artistes qui ont besoin de la résistance de la matière. C'est une conquête physique et une part fondamentale qui libère leur capacité de création.
En plus de l'aspect duveteux et chaud que confère la pointe-sèche, le plexiglass augmente le sentiment d'imperfection du fini du trait en même temps que sa fragilité. Il y a une véritable cohérence entre le trait de Didier Hamey et son sujet de prédilection. En vrai connaisseur de la gravure, la technique sert son sujet. Ses jardins sont fragiles, ces bestioles graciles, son monde est sauvage et foisonnant comme l'est la Nature oubliée de l'homme. Rattrapé par ses premières amours, ses gravures se colorent de délicates touches de pinceaux qui soulignent l'infini variété de son bestiaire. Puis, avec la série des Capucine, ce produit une explosion. Selon un procédé déjà éprouvé, Didier Hamey grave une première matrice qui, imprimée en une couleur à plusieurs exemplaires, sera retravailler en rehaut de couleurs pour obtenir de nombreuses variations. Le terme de matrice n'a jamais si bien convenu à un artiste qui s'attache tant à l'expression de la fécondité et de la naissance. Capucine, c'est la super nova du cosmos. Une concentration d'énergie et de matière semble ne plus pouvoir tenir ensemble. Se produit un débordement de vie sans précédent qui répond à un besoin inexpugnable de faire sauter une soupape soumise à une trop forte pression. Nous assistons à une succession d'explosion de couleurs, à d'intenses vibrations, à des gonflements exponentiels qui semblent impossible à contenir. Didier Hamey libère une gestualité augmentée de sa liberté habituelle qui surprend autant qu'elle fascine. Il crée et expérimente. La peinture le rattrape au point que les puristes le taxeront de ne plus faire d'estampe. Cette question est-elle si importante ? Son monde a abattu depuis longtemps toutes cloisons au profit de la création.
Dépassant les limites de sa création, il en devient l'observateur privilégié. Suivant les traces de l'entomologiste Jean-Henri Fabre à qui il rendit hommage dans un livre imprimé sur les presses du musée de Gravelines en 1999, il étudie ses créatures, les nomme et les classe. Le Balatro des jardins, croise le Piscarius à long nez et le Pinophilax. Il dévoile des scènes animalières où La Béate à queue fourchue rencontre le Ballatrix Fragilis. Il consigne après une étude prolongée, que la Tordeuse à culotte, sous son nom équivoque est d'une vertu sans reproche…. Le soin porté aux titres des gravures positionne Didier

Paul Ripoche